Les Traditions
du cerf-volant Afghan
Le livre
"Les Cerfs-Volants de Kaboul"
Le film
"The Kite runner"
 
 
 
Les Cerfs-volants de Kaboul (The Kite Runner) est le premier roman de l'Américain d'origine afghane Khaled Hosseini, il est paru en 2003 aux États-Unis.

L’histoire : Dans les années 70 à kaboul, Amir, fils d’un riche commerçant pachtoun, partage son enfance avec Hassan, jeune hazara et serviteur de la famille d’Amir. Liés par une indéfectible passion pour les cerfs-volants, les garçons grandissent heureux….jusqu’au jour où Amir commet la pire des lâchetés ……..
 
Morceaux choisis extraits du Roman de Khaled Hosseini :
 

L'hiver était la saison préférée de tous les gamins de Kaboul - du moins de ceux dont les pères pouvaient se payer un bon poêle. La raison en était simple : l'école fermait durant cette période.

(....) Sans oublier les cerfs-volants, bien sûr. Les cerfs-volants que l'on faisait voler. Et après lesquels on courait. Chaque année, plusieurs quartiers de Kaboul organisaient un combat de cerfs-volants que les garçons de la ville considéraient comme l'événement phare de cette époque de l'année. La veille, je ne parvenais jamais à trouver le sommeil. (....) À Kaboul, participer aux tournois de cerfs-volants revenait pour ainsi dire à prendre part à une guerre. Et, comme pour toute guerre, il convenait de se préparer.
Au début, Hassan et moi fabriquions nous-mêmes nos cerfs-volants. Nous économisions une partie de notre argent de poche à partir de l'automne et la déposions dans une petite tirelire de porcelaine en forme de cheval que Baba nous avait un jour rapportée d'Herat. Lorsque les vents froids commençaient à souffler et la neige à tomber abondamment, nous démontions le fermoir logé sous le ventre de l'animal et filions au bazar acheter du bambou, de la colle, de la ficelle et du papier.
Nous consacrions ensuite des heures chaque jour à raboter les tiges qui formaient les deux axes central et transversal, à découper le papier de soie - lequel facilitait les plongeons et les remontées dans le ciel - ainsi, évidemment, qu'à préparer notre ficelle, le tar.

   
Si le cerf-volant était l'arme, alors le tar, la ligne hérissée d'éclats de verre, était la balle dans le barillet. Nous sortions dans le jardin et trempions un fil long de près de cent cinquante mètres dans une mixture composée de verre pilé et de colle, puis l'étendions entre des arbres pour le laisser sécher. Le lendemain, nous l'enroulions autour d'une bobine en bois.

Il apparut vite qu'Hassan et moi étions meilleurs joueurs que bricoleurs. Un défaut quelconque dans nos plans venait toujours tout gâcher, si bien que Baba décida de nous acheter nos cerfs-volants chez Saifo. En plus d'exercer le métier de moochi - cordonnier -, ce vieillard presque aveugle était aussi le fabricant de cerfs-volants le plus réputé de la ville.

Il travaillait dans une minuscule masure située sur l'une des artères principales de Kaboul, Jadeh-Maywand, au sud des rives boueuses de la rivière. Il fallait se baisser pour entrer dans cette boutique pas plus grande qu'une cellule de prison, puis soulever une trappe et descendre une volée de marches en bois jusqu'au sous-sol humide où il entreposait ses précieuses réalisations. Baba nous offrait à chacun trois cerfs-volants identiques et une bobine de fil déjà préparé. Quand, changeant d'avis, j'en réclamais un plus gros ou plus beau, il cédait à mon caprice, mais prenait le même pour Hassan. J'aurais aimé parfois qu'il n'agisse pas ainsi. J'aurais aimé être son préféré.
   
Les combats de cerfs-volants relevaient d'une vieille tradition hivernale en Afghanistan. Le jour dit, ils débutaient tôt dans la matinée et ne se terminaient que lorsqu'il ne restait plus qu'un seul concurrent en lice - si bien que le tournoi s'était prolongé une fois jusqu'après la tombée de la nuit.
Une foule de gens se pressait sur les trottoirs et les toits pour acclamer leurs enfants, les rues se remplissaient de participants qui tiraient sur leurs lignes par à-coups secs, les yeux rivés vers le ciel, en essayant de se placer dans une position leur permettant de trancher le fil des autres joueurs. Chacun disposait d'un assistant - dans mon cas, mon fidèle Hassan - chargé de tenir et de dévider la bobine.

Un gamin dont la famille s'était installée depuis peu dans le quartier nous avait expliqué une année que chez lui, en Inde, cette compétition obéissait à un règlement très strict. - On doit jouer dans un périmètre fermé et se mettre perpendiculaire au vent, nous avait-il assené fièrement. Et on n'a pas le droit d'utiliser d'aluminium pour fabriquer le fil. Hassan et moi avions échangé un regard complice. Et éclaté de rire. Ce nouveau venu ne tarderait pas à apprendre ce que les Anglais avaient découvert un peu plus tôt au XX° siècle et que les Russes constateraient à la fin des années quatre-vingt : les Afghans sont un peuple indépendant. Ils chérissent les coutumes mais abhorrent les lois.

Il en allait de même avec les combats de cerfs-volants. Les règles étaient simples : il n'y en avait aucune à respecter. Faites voler vos cerfs-volants. Coupez le fil de vos adversaires. Bonne chance. Sauf que ce n'était pas tout. La partie la plus passionnante du tournoi commençait quand une ligne était sectionnée. Entraient alors en scène les coureurs : ces enfants s'élançaient à la poursuite du cerf-volant éliminé que le vent entraînait à la dérive jusqu'à ce qu'il tombe en vrille dans un champ, un jardin, sur un arbre ou un toit. Une course acharnée s'ensuivait.
   
(....) Une année, un jeune Ouzbek grimpa dans un arbre pour récupérer ce butin. Une branche céda sous son poids et il fit une chute de neuf mètres qui lui brisa le dos. Jamais il ne remarcha. Mais il s'était écrasé avec le cerf-volant dans les mains et, dès lors qu'un participant l'avait saisi, personne ne pouvait le lui reprendre. Ce n'était pas une règle qui en avait décidé ainsi. C'était la coutume.
 
L'objet de toutes les convoitises pour les coureurs s'incarnait dans le dernier cerf-volant éliminé. Il représentait le trophée d'honneur, le prix que l'on posait sur un manteau de cheminée afin que les invités l'admirent.

Lorsque le ciel s'était vidé et que seuls deux concurrents s'affrontaient encore, chacun se préparait à tenter sa chance et se positionnait à un endroit dont il estimait qu'il lui donnerait un peu d'avance sur les autres. Les muscles contractés, on n'attendait plus que le moment de passer à l'action. Les cous se tendaient, les yeux se plissaient. Des bagarres éclataient.

L'instant où le tar de l'un des finalistes était tranché marquait le début d'une pagaille indescriptible. Au fil des ans, j'avais vu beaucoup de ces coureurs à l'oeuvre. Mais Hassan les surpassait tous. La manière dont il repérait le point où le cerf-volant atterrirait, avant même que celui-ci y soit arrivé, avait quelque chose de surnaturel, comme s'il possédait une sorte de boussole interne.

En 1975, Hassan participa pour la dernière fois à cette course.
   
Alors que d'ordinaire chaque quartier organisait ses propres combats, le mien en convia plusieurs cette année-là - Karteh-Char, Karteh-Parwan, Mekro-Rayan et Koteh-Sangi. On ne pouvait guère se déplacer sans surprendre des discussions sur le tournoi à venir. À en croire la rumeur, il s'agirait du plus important depuis vingt-cinq ans.
 
(....) Je n'avais jamais vu autant de monde dans notre quartier. (....) Les concurrents se concertaient avec leurs coéquipiers, se livraient à des préparatifs de dernière minute.

Des rues adjacentes me parvenaient des rires et des bavardages. Les toits étaient déjà couverts de spectateurs allongés sur des transats, avec des Thermos de thé brûlant et des magnétophones d'où s'échappaient à plein volume des chansons d'Ahmad Zahir.

(....) Il (Hassan) saisit notre cerf-volant. Rouge avec des bordures jaunes, celui-ci arborait la signature aisément identifiable de Saifo juste en dessous de la croisée des axes. Hassan humecta son doigt, le leva et se mit à courir dans le sens du vent.
(....) La bobine se dévida entre mes mains jusqu'à ce qu'Hassan s'arrête à environ quinze mètres de moi. Il brandit alors le cerf-volant à bout de bras, comme un athlète olympique exhibant sa médaille d'or. Je donnai deux coups secs sur la ligne - notre signal habituel - et il le lança.

J'inspirai puis exhalai profondément, avant de tirer sur le fil. En moins d'une minute, mon cerf-volant prit de la hauteur. Il claqua au vent tel un oiseau de papier battant des ailes. Hassan applaudit, siffla et me rejoignit à toute vitesse.
   
Sans lâcher le fil, je lui tendis la bobine afin qu'il enroule la partie de la ligne qui pendait lâchement. Deux douzaines de cerfs-volants flottaient déjà dans le ciel, semblables à des requins de papier à l'affût d'une proie. Moins d'une heure plus tard, leur nombre avait doublé. Rouges, bleus, jaunes, ils glissaient et tournoyaient au-dessus de nos têtes.
 
   
Bientôt, les combats débutèrent et le premier des cerfs-volants vaincu échappa à son propriétaire. Les uns après les autres, ils tombèrent telles des étoiles filantes, avec leurs queues étincelantes et ondulantes, et inondèrent les quartiers de trophées à récolter. Les clameurs des coureurs retentirent tandis qu'ils s’élançaient dans les rues.

A trois heures de l’après-midi, (....) sur les toits, les spectateurs s’emmitouflaient dans leurs écharpes et leurs épais manteaux. Nous n’étions plus que six et j’étais toujours en lice (....) Je surveillais sans relâche un cerf-volant bleu responsable à lui seul d’une véritable hécatombe durant l’heure précédente.

(....) ce qui m’avait paru un rêve ridicule ce matin-là se réalisa : il n’y eu plus que moi et l’autre. Le cerf-volant bleU. (....) Les gens tapaient du pied, applaudissaient, sifflaient et scandaient : Boboresh ! Boboresh ! « Coupe-le ! Coupe-le ! »

L’espoir se transforma en certitude. J’allais gagner (....) Une rafale souleva mon cerf-volant, me permettant de prendre l’avantage. Je laissai filer la ligne. La stoppai. Me plaçai au-dessus du cerf-volant bleu. Maintins ma position. Mon adversaire, flairant le danger, tenta désespérément de se sortir de ce pétrin. Je ne lâchai pas prise. La foule sentit la fin toute proche et le chœur des « Coupe-le ! Coupe-le ! » se mit à enfler, semblable aux cris des Romains qui en appelaient à la mise à mort des gladiateurs.
   
- Vous y êtes presque, Amir agha ! presque ! haleta Hassan.
Et le grand moment arriva. Je fermai les yeux en libérant le fil, lequel m’entailla de nouveau les doigts à mesure que le vent l’emportait. Et puis… je n’eus pas besoin d’entendre le rugissement des spectateurs pour comprendre. Je n’eus pas non plus besoin de voir ce qui se passait.
Hassan criait, un bras enroulé autour de mon cou.
- Bravo ! Bravo, Amir agha ! Je rouvris les yeux et aperçus le cerf-volant bleu qui tournoyait frénétiquement, tel un pneu détaché d’un bolide. (....)
- Nous avons gagné ! Nous avons gagné ! fut tout ce que je parvins à articuler.
- Je sais …. Je vais d‘abord courir vous chercher ce cerf-volant bleu.