En hiver, lorsque la neige aplanit les reliefs, les skieurs de fond ne peuvent identifier le puy de Chareire que par l’arbre tout tordu qui a poussé à son sommet.
Mais en ce mois de juin pluvieux, une végétation d'altitude, rase et quasi phosphorescente, épouse parfaitement les courbes de l'ancien volcan, avec sa forme de bassine cabossée au bord de laquelle est posée une étrange sphère noire, haute d'environ trois mètres. L’artiste allemand Rainer Gross est en train de créer A ciel ouvert, une œuvre qu'il a conçue pour le site.
 
L'école des .bio-arts
 
Ecologique, végétal ou minimaliste, le land art met en scène des œuvres souvent éphémères. Dans lesquelles les artistes se confrontent à 1a nature.
En équilibre instable sur un escabeau qui s'enfonce dans le lichen, il assemble une par une des centaines de fines lattes de bois noirci. Cintrées et maintenues sous tension, elles forment une surprenante pelote d'une tonne et demie, arrimée au bord du gouffre, imposante comme une bombe volcanique mais souple et aérienne comme un cocon.
Une ouverture permet d'y pénétrer, une autre de regarder le ciel. Sensation bizarre de protection et de vulnérabilité mêlées, de petitesse et d'immensité dans cette œuvre mi-noyau, mi-électron ; elle vous englobe au cœur d'une nature dont la force tellurique prend tout son sens alors que l'Orage tonne au loin. « Ce que j'aime dans le travail en extérieur, explique Rainer Gross c'est marquer la précarité de la vie humaine par rapport à son environnement. Mes œuvres ne sont pas faites pour rester, je choisis tout spécialement un matériau modeste et fragile qui s'adapte mais ne peut pas durer. »
En imaginant la première édition de Horizons, rencontres « arts nature »2007(l), l'office du tourisme de la communauté de communes du Sancy, en Auvergne, a fait preuve d'un certain culot. Allier l'art contemporain à des pratiques touristiques des plus classiques comme les randonnées en VTT, l'accrobranche ou le
 

thermalisme n'allait pas de soi. Nathalie Fort, qui a organisé la manifestation, sourit. « Si certains maires, au début, ont pu penser mettre des œuvres au milieu d'un rond-point, ils ont très vite compris la démarche, conjuguer la beauté des paysages à celles des œuvres créées tout exprès. »
Mais pas question de transformer le massif du 5ancy en galerie de plein air branchée, où les sites ne serviraient que de faire-valoir. Ni de déposer avec une grue des créations réalisées en atelier, à des centaines de
 
kilomètres de là, hors contexte. «II s'agissait d'inviter des artistes à venir travailler en adhésion avec le milieu naturel, dont la beauté et l'authenticité poussent d'emblée à une réflexion environnementale. »

Sélectionnés après appel à candidatures international (350 projets reçus du monde entier), les dix artistes retenus ont eu le choix entre trois sites, repérés selon des critères esthétiques mais aussi pragmatiques (accessibilité au public, respect de la faune et de
 
la flore, une bonne partie du massif étant classée réserve naturelle). A chacun ensuite d'imaginer sa lecture du lieu pour créer une œuvre qu'on appellera in situ, à défaut de la nommer land art, l'appellation étant devenue un vaste fourre-tout regroupant des démarches extrêmement différentes.
Coïncidence troublante : c'est à l'époque où l'homme laisse son empreinte sur la Lune, en 1969, que des artistes américains investissent les espaces grandioses du désert américain pour y laisser la leur. Des champs de pieux d'acier capteurs d'éclairs de Walter de Maria aux terrassements démiurgiques de Michael Heizer, qui déplaça par exemple des millions de mètres de cubes de terre pour créer un « contenu » et un « contenant », le land art puise ses racines dans ce Grand Ouest sauvage. Art américain par excellence, il a besoin de place et d'espaces à conquérir. Comme si en Amérique, où l'on vit beaucoup plus dans le paysage qu'en Europe, les artistes ressentaient le besoin physique de se confronter à la nature. A l'image de Christo, qui, avant d'être mondialement célèbre pour ses empaquetages urbains, avait drapé de tissu des immenses falaises, bordé des dizaines d'îles de jupes colorées ou bien encore planté des milliers de parasols sur les deux
         
   


rives du Pacifique, simultanément du côté californien et du côté japonais. Au cours des années 90, les artistes « hors les murs » changent progressivement d'échel-le. La nature n'est plus considérée comme un espace d'exposition que l'on peut modeler, mais comme un tout indissociable de la démarche artistique. Une sorte de biotope, où l'œuvre se niche plus qu'elle ne s'installe, où elle vit et meurt, d'ailleurs, puisque les créations sont très souvent éphémères. A l'image des empreintes de corps allongé dans la neige laissées par l'Anglais Andy Goldsworthy sur une pelouse immaculée, ou encore des graciles radeaux de feuilles, brindilles et baies confectionnées par
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Le land art puise ses racines dans le Grand Ouest sauvage. Art américain par excellence, il a besoin de place et d'espaces à conquérir.

l'Allemand Nils Udo. Œuvres qui ne vivent que le temps d'être immortalisées en photo, avant que la neige ne fonde ou que les canards ne s'en régalent. Art écologique, art minimaliste, art environnemental, art végétal ou encore art pauvre (arte povera), le land art retrouve une sorte de dialogue instinctif entre l'homme et la nature. Tels ces arbres régénérés de l'Italien Giuseppe Penone, aujourd'hui exposés dans de nombreux musées. D'une poutre brute évidée à l'herminette, comme s'il remontait le temps, l'artiste fait ressurgir le cœur de l'arbre initial. Se dévoile un tronc élancé et des fins départs de branches, ressuscités avec une grâce mélancolique qui évoque ces corps humains minéralisés découverts dans les cendres de l'Etna, à Pompéi.
           
 
Point d'éruption dévastatrice en Auvergne, du moins pas dans ces derniers millénaires, mais partout des traces de l'ancien chaos tectonique.
Les bombes volcaniques par exemple, ces morceaux de lave projetés à des centaines de mètres autour des cratères à l'époque de leur activité, grêlent le moindre vallon ou flanc de montagne, projectiles noirs et inquiétants atterris au hasard. Dans la forêt de Cotteuges, non loin de Saint-Diéry, se dresse, parmi les pins sylvestres et les chênes de
 
la Cheminée des fées, une impressionnante colonne d'argile d'une vingtaine de mètres de haut, sur laquelle est juchée une de ces bombes géantes.
C'est là qu'Erik Samakh - «chasseur-cueilleur» des temps modernes, dit-il lui-même - a disséminé ses Joueurs de flûtes. Accrochées aux branches, les flûtes sont pourvues de capteurs solaires alimentant des petites turbines. Elles sifflent une mélopée de la forêt, composée au gré de la lumière et de l'ombre, au rythme des nuages et des feuilles.
 
Magiquement, la technologie hautement sophistiquée s'éclipse derrière la belle et simple idée. Tout comme le land art finit par s'absorber dans la nature.
SOPHIE CACHON
PHOTOS. BRUNO GAUTIER/KR IMAGES PRESSE POUR TÉLÉRAMA

(1) Horizons, rencontres "arts nature" 2007 jusqu'au 31 août, dix œuvres sur dix sites du massif du Sancy. Accès libre. Renseignements:Office du tourisme du massif du Sancy. Le Mont-Dore (G3). Tél. :04-73-65-35-55.